Coronavirus : la santé après la politique

Le stade 3 de l’épidémie a démarré samedi 14.03.2020 au soir, à la veille des élections municipales. Ce passage au stade 3 n’a même pas été évoqué par le premier ministre Edouard Philippe durant son discours, mais confirmé par le directeur général de la Santé Jérôme Salomon au détour d’une question, comme un lapsus. Cependant, est-ce vraiment à ce moment-là que le passage au stade 3 s’est fait? Essayons de revoir un peu plus en détail le déroulement des événements.

Tout d’abord rappelons trois mesures importantes constituant le stade 3, tel que le décrit le Plan national de prévention et de lutte “Pandémie grippale” publié en Octobre 2011 suite à l’épidémie de grippe A (H1N1) de 2019.

La première mesure est la fermeture des établissements scolaires. Dès le mardi 10.03.2020, les outils et consignes concernant l’école à la maison pour les élèves, et l’enseignement  à distance pour les enseignants, étaient prêts et ont été publiés, sans aucune consigne. Des logiciels du CNED (centre national d’éducation à distance) ont également été déployés à la même date à destination des enseignants de l’éducation nationale pour faciliter ce travail à distance. Il est à noter que cette mesure peut également être activée au stade 2.

La seconde mesure est l’arrêt de la surveillance individuelle des cas par l’institut de veille sanitaire. En d’autres termes, on ne dépiste plus que les malades hospitalisés, et donc, seuls les patients à risques sont connus. Il y a donc bien plus de cas infectés que ce que disent les chiffres officiels. Un enregistrement rendu public par la journaliste Eva Morletto sur le site d’information Le Monde Moderne rapporterait le témoignage d’un médecin d’un hôpital parisien indiquant “On ne dépiste plus personne hormis les gens hospitalisés […] Il y a d’autres villes qui dépistent, mais en tout cas à Paris c’est depuis 7 jours”. La journaliste a publié cet enregistrement le 13.03.2020 et indique l’avoir reçu par email la veille. On peut donc situer les restrictions sur les dépistages à Paris au 5.03.2020.

La troisième mesure, enfin, est l’apparition de priorités de traitement. Notre système de santé n’étant plus en mesure d’absorber l’afflux de malades, des choix sont donc faits de traiter certains patients et pas d’autres. Des patients hospitalisés sont déplacés vers d’autres établissements ou renvoyés à domicile. Les interventions planifiées les moins urgentes sont annulées ou reportées. J’ai été personnellement témoin de ces deux derniers cas dans mon entourage dès lundi 9.03.2020.

Il semblerait que ce stade 3 ait été décidé par les autorités probablement aux alentours du 8.03.2020 et soit entré en vigueur sur le plan national, partiellement et de façon non officielle, dès lundi 9.03.2020.

Alors pourquoi, si le stade 3 a été décidé il y a une semaine, n’en a-t-on entendu parler qu’hier? On ne peut qu’essayer d’imaginer, mais la proximité entre cette annonce et les élections municipales est extrêmement troublante. Les autorités, dans leur volonté inébranlable de maintenir ces élections, semblent l’avoir fait au mépris de la situation sanitaire, et en manipulant les chiffres pour camoufler la réalité du terrain à la population.

Mais alors, pourquoi avoir fait l’annonce du passage au stade 3 la veille des élections? Pourquoi pas plus tôt, à la date réelle de sa mise en oeuvre par exemple? Ma théorie sur le sujet est que l’officialisation du passage au stade 3 est totalement incompatible avec la tenue des élections. Les mesures barrières prévues incluent la “restriction des grands rassemblements et des activités collectives”, ainsi que la “sensibilisation sur la nécessité […] de limiter les déplacements”. Comment justifier dans ce cas là le maintien d’un appel au déplacement de 45 millions de personnes qui doivent se rendre dans des écoles qu’on vient de fermer pour justement éviter le rassemblent d’à peine plus de 12 millions d’élèves. Le fait d’officialiser le passage au stade 3 le plus tardivement possible a fortement limité le débat sur la tenue des élections qui était de toute façon décidée de manière unilatérale par les partis politiques pour des raisons n’ayant rien à voir avec l’urgence sanitaire.

Mais, me direz-vous, pourquoi dans ce cas ne pas avoir attendu après les élections pour officialiser le stade 3? Et bien je pense que les deux raisons principales sont l’urgence réelle de la situation, qui méritait ce passage au stade 3 bien avant, et le fait qu’un passage au stade 3 au soir des élections aurait été plus que suspect et injustifiable sur un plan moral.

Le bilan de la gestion de crise est au final désastreux à mon sens. Toutes les étapes de lutte contre l’épidémie ont été décalées dans le temps, tout d’abord pour des motifs économiques, puis pour des motifs politiques. On a estimé la valeur de milliers de vies humaines pour chercher un compromis entre les pertes humaines, les pertes économiques, et les conséquences politiques. Le maintien de ces élections coûte que coûte aura été responsable de morts pour au moins trois raisons :

  • les inévitables contaminations liées aux déplacements pour aller voter et au rassemblement des personnes dans les bureaux de vote, et la propagation qui s’en suivra au sein du reste de la population et des services de santé qui n’avaient pas besoin de ça ;
  • le message flou envoyé à la population en ce qui concerne le confinement : s’il n’y a pas de danger à convoquer 45 millions d’électeurs pour les élections, ce n’est pas un petit anniversaire de 15 personnes qui aura des conséquences ;
  • l’augmentation rapide du nombre de cas qui va saturer les services de santé et entraîner l’impossibilité de soigner tous les patients qui se présenteront dans deux semaines.

Rassurez-vous, les chiffres resteront bons, on ne vous dépistera pas…